II. BLOQUER LA RECHERCHE DU GAIN

 2. Bloquer la recherche du gain

LA RECHERCHE DU PROFIT SAPE L'EFFORT COLLECTIF 
QUI PERMET LA SURVIE :
LES SOCIÉTÉS PRÉ-CAPITALISTES LA CONTIENNENT

Les historiens ignorent une priorité
qui transforme le sens 
des institutions et des événements.

Ce chapitre explique pourquoi contenir le profit
-- c'est-à-dire, limiter la croissance --
-- était nécessaire, et comment cela s'est fait

• On ne peut pas seul faire rentrer la récolte...

• L'origine du soutien surnaturel au pouvoir

• La destruction grandiose des richesses

• Des pratiques dont la logique nous échappe

• Les enjeux sous-jacents sont-ils compris ? 

• Lisez les récits comme des polars 

• Des effets actuels d'une croissance sans freins 

 *      *      *

Suite,
On ne peut pas seul faire rentrer la récolte...

ON NE PEUT PAS SEUL FAIRE RENTRER LA RÉCOLTE...

OU PÊCHER AVEC DE GROS FILETS

OU CHASSER DE GRANDS ANIMAUX 

Le travail non mécanisé est forcément collectif :
Pensez au film de Harrison Ford Witness,
où les Amish se réunissent pour construire une grange

Midi par Pieter Breugel l'Ancien, vers 1550

Poursuivre le gain individuel affaiblit la communauté.

Pire, la terre devient propriété privée.
Alors, beaucoup s'en vont :
« Il est parti chercher sa fortune »

Certains deviennent des marchands dans les villes nouvelles -- ainsi se créée la bourgeoisie -- mais la plupart finissent vagabonds, mercenaires ou brigands.

Ceux qui restent deviennent des métayers ou des serfs.
  

Cette menace explique les freins sur le gain,
que les villageois initient et un pouvoir centralisé étend.

  *      *      * 

Suite,

Quand des chefs deviennent des rois

QUAND DES CHEFS DEVIENNENT DES ROIS

DES CHEFS APPARAISSENT

QUAND LA RECHERCHE DU GAIN

DÉBORDE LES DIGUES VILLAGEOIS  

• En Afrique traditionnelle,

un homme nouvellement enrichi

est admiré s'il partage son bien,

toléré s'il le dépense,

et sanctionné s'il le garde pour lui

Les cahiers d'Afrique / Internet

Des griots -- des chanteurs traditionnels -- suivent le parvenu en chantant des louanges, qui se transforment en moquerie de ses origines serviles s'il ne donne pas le pourboire attendu : c'est-à-dire, s'il ne fait pas une ponction sur ses recettes pour maintenir l'ordre traditionnel. 

S'attendre à ce que des immigrés apportent des cadeaux quand ils reviennent au village, et les harceler s'ils ne distribuent pas assez, fait partie du même système. 

• Les rois contrôlent 
des sociétés plus complexes 
et la magie les renforce. 
En France

° La sanctification à Reims
leur donne un pouvoir magique

Le panneau central de l'histoire de Jeanne d'Arc au Panthéon, par Jules Lepneveu, fin XIXe siècle

Le point culminant de l'épopée de Jeanne d'Arc est persuader le Dauphin de traverser le du territoire tenu par les Anglais pour être couronné à Reims. 

Cavalcade de Louis XV après la sanctification, le 16 octobre 1722, par Martin le Jeune

La sanctification dure plusieurs jours: vigile, cérémonie, cavalcade.  

Le Livre d'heures d'Henri II, vers 1540

Alors le roi peut guérir les scrofules par son toucher.

L'étude classique :
Les rois thaumaturges par Marc Bloch, 1923

Les monarques sont des médiateurs avec les ancêtres,
des rois divins ou des représentants de Dieu :
Ils maintiennent l'harmonie du cosmos.

Traduction 
(puisqu'ils ne peuvent pas influencer la nature) :
Ils maintiennent l'harmonie sociale,
 en contrôlant ce qui la menace...
notamment la poursuite du gain.  

*      *      *

Suite,

La destruction grandiose des richesses

LA DESTRUCTION GRANDIOSE DES RICHESSES

 LA FAÇON LA PLUS SIMPLE 
DE CONTENIR LA CROISSANCE :
ÉLIMINER LA RICHESSE 
AVANT QU'ELLE NE SOIT INVESTIE 

Rendre la destruction spectaculaire attire le public,
et renforce l'autorité

Exemples :

• La compétition

Ce film de 1914 montre la dernière de ces matches.
Dites « potlatch », connus des anthropologues.

Quand les Indiens kwaktiul du Nord Pacifique obtiennent des marchandises par le troc avec les blancs (vers 1850) les clans qui contrôlent ces échanges rivalisent en jettent ces articles à la mer. Le clan qui détruit le plus devient le plus puissant.

La communauté observe de la rive.

• L'ostentation

Une armée royale se déplace, tapisserie du XVIe siècle (détail), Musée de la Renaissance

Les nobles européens dispersent leurs revenus en chevaux, en accoutrements et en armes, qu'ils exhibent par des processions autour du roi. On vient de loin pour observer le cortège qui brise la routine. 

Disperser les richesses avec panache fait partie du prestige des nobles : le Roi Arthur « se moque de l'or et de l'argent, et ne considère que l'honneur,» dit en émissaire romain après avoir partagé un festin décrit sur une page entière.

 -- La morte d'Arthur  

• Les funérailles

De Richard Fleischer avec Kirk Douglas, Tony Curtis et Janet Leigh, 1958

Ce film montre la majesté de la destruction.

Quand un chef viking meurt, on met son corps dans un drakkar rempli de trésor et le brûle. 

La communauté contemple de la rive. 

 • Les monuments

Internet, AirPanu.RU

L'Égypte ancienne reste essentiellement inchangée pour trois mille ans. Imaginez : trois mille.  

Parce que les pharaons neutralisent les richesses par des monuments si gigantesques que le terme « pharaonique » s'applique à toute construction qui dépasse les bornes ?

Elles rappellent quotidiennement leur pouvoir. 

 • La dépense en tant que telle 

Une carte européenne du XIVe siècle, signe que les échanges se développent.

Un empereur du Mali au XIVe siècle dépense tant d'or pour son pèlerinage à la Mecque que sa valeur s'écroule pour une décennie, freinant les producteurs émergents.  

Les populations voient passer l'extraordinaire cortège et bénéficient de la largesse.

 La destruction volontaire transforme le sens
d'innombrables coutumes et événements :  
Nous y reviendrons souvent.  

À suivre.

*     *     * 

Suite,
Des comportements dont la logique nous échappe

DES COMPORTEMENTS DONT LA LOGIQUE NOUS ÉCHAPPE

NOUS GLISSONS SOUVENT 
SUR CE QUE NOUS NE COMPRENONS PAS

Prenez l'erreur d'un explorateur 

« Grant dance avec Ukelema », Second visit to discover the sources of the Nile par John Speke, Londres, 1864

Il contraste la danse occidentale (à droite)
avec celle de « diables noirs » 

Mais la danse africaine unit le village : les jeunes mettent en valeur les exploits du chef sous le regard de la population. À d'autres moments hommes et femmes dansent en lignes séparées, ne se touchant pas, car l'organisation sociale, y compris par genre, est collective. 

(La danse occidentale a été collective, telles les bourrées des villages français et les « square dances » de l'Angleterre et de l'Amérique du Nord, et les danses de salon et de cour. Le changement est venu avec la valse au début du XIXe siècle, qui accompagne l'accent sur le couple bourgeois.) 

L'explorateur fait montrer par l'artiste l'ébahissement de sa partenaire, donc sait qu'il a brisé les règles. Il croit avoir bien fait : il a montré comment danser aux Africains !

Les explorateurs, comme les historiens,
confrontent des mondes qu'ils ne comprennent pas.
Plutôt que d'indiquer les énigmes 
ils amassent des informations. 

Quelquefois un détail qui illumine
se glisse dans leurs récits. 

   

*      *      *

Suite,
Lisez les récits comme des polars

LISEZ LES RÉCITS COMME DES POLARS

« ELLE AVAIT ÉTÉ FORMÉE 
POUR CHERCHER DES ANOMALIES »

-- Le silence des agneaux,
roman de crime par Thomas Harris

Déchiffrez le passé oblige d'agir comme un détective,
méditant ce qui semble bizarre. 

Les indices peuvent des pratiques ou des événements
apparemment irrationnelles
ou des éléments tangibles tels
un décor placé trop haut pour être facilement vu,
des places trop vastes pour le trafic,
un roi qui remplace Jésus...

Art de la rue à Belleville

Un détective, des ténèbres, un indice...

Ou ils se trouvent dans les livres d'histoire
lus comme des récits d'explorateurs...

Une carte à la Procure des Missions, Paris 5e 

Des rayons d'Histoire de bibliothèque

...où l'indice qui éclaire est enfoui parmi les données.

*     *     *  

Suite,
Les enjeux concrets étaient-ils -- sont ils -- compris ?

LES ENJEUX CONCRETS ÉTAIENT ILS -- SONT ILS -- COMPRIS ?

OUI, PARCE QU'ON SAIT INSTINCTIVEMENT
CE QUI RENFORCE OU BRISE LES RÈGLES 

Non, 
car y réfléchir oblige de se distancer de sa culture.

• Prenez une habitude actuelle, 

acheter ce dont on n'a pas besoin

Vitrine aux Galeries Lafayette, Richard Nahem, Eye Prefer Paris

« Si je portais ma robe noire favorite mardi à Cincinnati... je verrais des images sur les réseaux sociaux mercredi, et si je portais la même chose à San Diego jeudi, on penserait que j'avais une seule robe... . »

--  Écrivaine préparant un tour pour vendre son livre,  The New York Times

Pour les femmes, changer de tenue tous les jours est une sorte de taxe. Si on leur demande pourquoi elles l'acceptent, beaucoup diront qu'elles en ont l'habitude, qu'elles aiment le shopping ou que si on ne le fait pas, on croira qu'on en a pas les moyens. Cette auteure décrit la pression, mais ne pense pas à ce qui l'explique.

• Très peu de personnes diront 

« ces achats donnent une impression de liberté

 mais en fait sont imposés,

car l'économie en dépend. »

Les chapitres qui suivent montrent comment
 l'organisation sociale et les croyances
correspondaient à des besoins pratiques,
qu'on en ait été conscients ou non.

Généralement non.

*     *     *

Suite,
Les effets actuels d'une croissance sans fin

LES EFFETS ACTUELS D'UNE CROISSANCE SANS FREINS

 LA MONDIALISATION CONDUIT AU DÉPLACEMENT

 DE MILLIONS DE PERSONNES...

qui perdent leurs terres, leurs liens sociaux
et leurs croyances ancestrales,
transformations que la rapidité du changement
rend plus violente encore

• Quand la consommation seule remplace 
les repères vénérables,
peut on s'étonner du nihilisme
aux États-Unis, au Moyen Orient, en Inde (...)
est essentiellement le même ? 

Getty images

Montrer l'intensité avec laquelle  

 les sociétés pré-capitalistes africaines et françaises

ont contenu le profit,
 implique combien il déstabilise. 

Fin de ce point de départ. 

*      *      *

Suite,
III. 
Freiner la croissance :
 les rois et les guerres ritualisées